A priori, rien ne me destinait à la peinture artistique. Issu d’une famille d’ouvriers étrangers à cet univers, moi-même artisan et manutentionnaire, j’ai toujours eu une sensibilité pour l’art mais j’étais attiré par la musique et le cinéma, et non par la peinture qui me paraissait hors de ma portée et très élitiste.
Un jour, une amie a déposé son chevalet et son matériel de peintre dans mon appartement : il a fallu cette proximité forcée, il a fallu que la peinture rentre chez moi pour que je la considère comme un possible. Nous nous sommes peu à peu apprivoisés, et depuis, peindre est pour moi une nécessité, un besoin irrépressible.
Au départ, intimidé, j’avais recours à des instruments de menuisier (règle, équerre, compas etc.) pour tracer des figures géométriques que je peignais ensuite au couteau, car je n’osais pas aller vers le pinceau. Devenu plus confiant, j’ai délaissé cette charge artisanale et me suis dégagé de mes propres contraintes pour m’engager dans la voie d’un art libre et d’une expression directe.
J’ai libéré les couleurs et mes gestes. Je me suis physiquement rapproché du support. Je suis dans un corps à corps, dans une communion avec les matériaux. Je pose mes supports (toiles, panneaux, surfaces récupérées diverses) par terre ou sur des tréteaux, et je tourne autour comme un félin. Je les manipule pour que les couleurs, versées, posées, ou projetées, coulent, bougent et vivent.
J’appréhende la peinture comme une matière vivante. Je parlais d’apprivoisement réciproque : je reste très attentif aux teintes et nuances que les mélanges produisent, aux formes qui naissent au fur et à mesure. Je refuse de contraindre la peinture : j’interviens sur la toile en fonction de ce qu’elle a exprimé. Nous sommes dans un dialogue ouvert permanent. De cet échange surgissent des motifs, des histoires, des univers…
Mlle Léa Rime, Directrice de la Galerie Libre Est L’Art